vendredi 2 mars 2012

Free Mobile, vers un nouveau modèle d'opérateur mobile

Une fois n'est pas coutume, cette chronique va sortir du champ de la TV connectée et de la maison numérique pour se consacrer à un secteur que je connais bien, la téléphonie mobile et particulièrement le lancement de free mobile et les opportunités qui s'ouvrent sur le marché français.
C'est le sujet "chaud" depuis plusieurs mois, le lancement tant attendu d'un quatrième opérateur mobile sur le marché français. Pour rappel, la France était un des rares pays européens à n'avoir toujours compté que trois réseaux mobiles. Notre pays est également un cas à part concernant l'actionnariat des opérateurs, qui font tous partie de groupes nationaux (France Telecom, Vivendi, Bouygues) qui devaient tous financer leur expansion sur d'autres marchés. Ces deux éléments ont sans doute contribué à un niveau de concurrence plus réduit et in-fine par des prix dans le haut de la moyenne européenne. On pourra citer cette étude récente de l'Ofcom comparant les meilleures offres haut débit mobile dans plusieurs pays :

Or on le sait, avec la généralisation des smartphones et le succès des applications mobiles, il est essentiel pour les utilisateurs de disposer d'un accès à internet "d'abondance". Le risque est de freiner les usages et le développement de tout l'écosystème. On pourra ainsi noter dans la même étude  que l'usage de l'internet mobile en France plafonne depuis 2010 :


Ainsi les offres proposées en France jusqu'à fin 2011 se limitaient en général à 200 ou 500 Mo par mois, usage suffisant pour naviguer sur des sites mobiles optimisés mais pas pour accéder à de véritables services haut débit. En outre les offres intégraient de fortes restrictions au niveau des usages, interdisant peu ou prou toutes les applications en dehors du web et de l'email. L'un des premiers effets positifs du lancement du 4ème opérateur a été, outre la baisse des prix,  l'assouplissement des quotas sur l'internet mobile avec des offres comprenant jusqu'à 3Go de données par mois sans restriction d'usage.

N'entrons pas ici dans le débat concernant l'activation ou non du réseau Free, le contrat d'itinérance ou les nombreux problèmes logistiques liés à l'envoi de SIM et à la portabilité des numéros. Ces problèmes sont similaires à ceux rencontrés par les freenautes lors du lancement de l'offre ADSL Free il y a près de 10 ans et plus récemment lors de l'annonce de la nouvelle "freebox revolution". 

Intéressons nous plutôt à ce qui se passera une fois la phase de lancement achevée et le réseau propre free accessible pour une part significative des abonnés. Pour l'instant, hormis son tarif et son contenu quantitatif on ne peut qualifier l'offre free mobile d'innovante. Pour concurrencer durablement les acteurs en place sur le long terme il faudra aussi se différencier au niveau des services proposés.

Les "innovations" à éviter
Tout d'abord listons les services mobiles souvent qualifiés "d'innovants" sur lesquels free devrait à mon sens éviter de se positionner :
  • Le NFC (sans contact mobile) et plus généralement le paiement mobile. Il s'agit d'un véritable "sac de noeuds" opposant opérateurs, fabricants de mobiles, acteurs du web, fabricants de SIM, banques, commerçants, opérateurs de transport... Alors que les premiers travaux sur le standard NFC ont commencé en 2003, aucun déploiement d'envergure n'a été effectué à ce jour (à part en Corée du Sud). Le marché va sans doute rester fragmenté pendant plusieurs années, et in fine la valeur ajoutée sera probablement captée par les trois écosystèmes mobiles (Apple, Android, Microsoft) et les intermédiaires financiers traditionnels (Visa, Mastercard...). L'approche "SWP" soutenue par les opérateurs elle requiert pour l'instant des cartes , des téléphones et des applications spécifiques qui vont freiner son développement.
  • Les nouveaux services de communication mobile "multimédia" tels que la Rich Communication Suite. Ces services sont lancés par les opérateurs traditionnels dans l'espoir de contrer les acteurs "over the top" (OTT) qui cannibalisent leurs revenus voix (ex: Skype) et SMS (ex: What's App). Or ces nouveaux services, en plus de devoir faire leurs preuves chez les abonnés, nécessitent le déploiement de terminaux  et d'applications compatibles et la mise en place d'accords d'interopérabilité entre chaque opérateur.
  • Plus généralement free devrait à mon sens rester à l'écart de tous les "services à valeur ajoutée" mobiles. Chaque année depuis 2002 (le MMS) un nouveau service de ce type est présenté comme la "killer app" qui va permettre aux opérateurs de générer de nouveaux revenus. S'ensuit le lancement de nouveaux produits  fort coûteux par les équipementiers télécoms, suivis d'appels d'offres et de projets d'intégration non moins coûteux chez les opérateurs, aboutissant généralement à des échecs commerciaux. Dans le monde du smartphone "post-iphone" les "services à valeur ajoutée" sont plus que jamais l'apanage des fabricants de mobiles, les éditeurs de système d'exploitation et/ou les développeurs d'applications, et non des opérateurs.
Voyons à présent quels services Free pourrait proposer afin de se différencier de ses concurrents "traditionnels".

Une infrastructure télécom ouverte - comme le web

Free construisant son propre système de gestion OSS/BSS à partir de zéro ou presque, il peut être innovant et s'inspirer d'une conception "web" pour la gestion de son réseau et des abonnements. Un embryon d'outil de gestion web existe déjà permettant de gérer la messagerie vocale et la facturation. Iliad devrait étendre cette plateforme pour permettre aux abonnés de gérer l'ensemble de leur abonnement, avec par exemple :
  • La gestion des renvois d'appel, sonneries d'attente, voire l'émission et réception d'appel depuis le web ou depuis d'autres terminaux via le protocole SIP (déjà implémenté sur la freebox). Free pourrait s'inspirer pour cela de la plateforme Google Voice.
  • Une gestion plus fine de la facturation permettant de gérer plusieurs lignes au sein d'un même abonnement, avec possibilité de partage de forfaits entre plusieurs numéros au sein d'une même famille ou d'une TPE/PME, de commande de SIMs mono-usage (par exemple accès données uniquement) ou au contraire de gestion de lignes multiples sur une même SIM.
  • Plus généralement, l'accès à toutes les options via la seule interface web, sans besoin d'appeler le service client ou l'utilisation de commandes spécifiques sur le mobile.
Dans le même ordre d'idée, free gagnerait à se focaliser sur les synergies avec l'offre freebox:
  • Interface de gestion commune fixe/mobile, notamment la messagerie vocale et la facturation;
  • Possibilité d'utiliser sa ligne fixe ou mobile indifféremment depuis son mobile ou sa freebox;
  • Accès distant au freebox Player depuis son mobile pour accéder à l'ensemble des chaînes disponibles à distance, au catalogue VàD ... Cela risque de poser quelques problèmes juridiques avec les ayant droits, qui peuvent sûrement être contournées techniquement. Par exemple : l'utilisation d'une application de visionnage à distance type VNC pour accéder à sa freebox, ce qui techniquement se rapproche d'un raccordement à un écran et non d'une application de réception séparée.
  • De la même façon, mettre en place un "réseau virtuel domestique" permettant à un abonné d'accéder à distance à son réseau local domestique, y compris aux contenus du Freebox Server mais aussi à son PC.
  • Déploiement du fameux module femtocell sur les Freebox Revolution pour améliorer la couverture intra-muros. L'intégration d'une femtocell compatible 4G permettrait d'ailleurs de compenser les limitations liées aux fréquences 2.6 Ghz achetées par free (mauvaise pénétration dans les bâtiments).
  • Fusion complète de l'infrastructure données mobile et fixe, avec installation de bornes "free WiFi" sur les antennes 3G, raccordées directement au "backbone" IP free. Couplées aux hotspots wifi et aux femtocells intégrés dans les freebox, cela permettra à Iliad de garantir sur le long terme les prix et les performances du data mobile et un accès "sans couture" à internet à ses abonnés fixes et mobiles.
La plupart de ces services sont déjà disponibles ou réalisables par les opérateurs traditionnels, mais sont très coûteux à mettre en place et à maintenir compte tenu de la complexité et de l'âge des infrastructures ainsi que de l'intervention de multiples fournisseurs et sous traitants. A contrario free a adopté la route du "do it yourself" et utilise des équipement plus récents et plus flexibles. Ainsi les ingénieurs de free ont mis en place dès le lancement un système de configuration dynamique des cartes SIM qui permet d'économiser sur les coûts logistiques et de personnalisation des cartes (achat de cartes génériques qui sont personnalisées / activées par l'abonné lui même).

L'ouverture aux tiers: développeurs, entreprises, industriels

Deuxième piste grande piste d'innovation: l'ouverture de la plateforme télécoms aux tiers. Free devrait mettre en places des APIs ouvertes pour le développement d'applications permettant d'accéder à toutes les fonctions du réseau pour le compte des abonnés. Par exemple ouvrir l'accès à la messagerie vocale pour faciliter l'apparition d'applications de messagerie vocale visuelle sur toutes les plateformes mobiles. Cela permettra à des milliers de développeurs d'inventer de nouvelles applications innovantes bénéficiants aux abonnés free, et donc in-fine à l'opérateur lui-même.

Dans le même esprit l'opérateur devrait également ouvrir des APIs donnant accès à l'ensemble des fonctions de son réseau mobile : appel, facturation, émission/réception de messages ... afin que les développeurs puissent les intégrer directement dans leurs applications.

Dans les deux cas la rémunération s'effectuerait via un système de partage des revenus générés par les applications ou par free lui même, sur le modèle de la plateforme Telefonica Bluevia

Cette approche permettra également de développer la clientèle entreprise, par l'intermédiaire de partenaires (intégrateurs ou fournisseurs de services B2B). Ceux ci pourront utiliser les APIs mises à disposition pour développer des solutions adaptées aux besoins des entreprises, sans exclusivité ni mélange des genres entre l'opérateur et l'intégrateur.

Dans le même esprit Iliad devrait se positionner en leader sur les applications M2M (machine à machine) en ouvrant sa plateforme mobile aux industriels, fabricants d'appareils électroniques, constructeurs automobiles... Ceux ci devraient pouvoir acheter des lots de SIM 'nues', voire même intégrer des SIM virtuelles dans leurs produits et les activer et gérer à distance via la plateforme free. Pour assurer son succès l'offre M2M free devrait proposer:
  • des frais non liés au nombre de SIM déployées mais à l'utilisation globale du réseau, avec une facturation au volume de données utilisées et non par ligne
  • des tarifs compétitifs pour le cas d'utilisation M2M, surtout pour le data mobile
  • une complète transparence: free devra s'effacer devant ses partenaires, proposer des tarifs indépendants du type d'application et garantir un accès neutre au réseau, tout en restant invisible pour l'utilisateur final
Avec une telle offre free pourrait être pionnier en suivant les recommandations de l'OCDE ce qui permettrait aux industriels comme Apple d'intégrer des abonnements data dans leurs produits de façon totalement transparente, et profitable pour tous.
Adoption des standards du web, convergence des réseaux, ouverture aux tiers, respect des autres intervenants dans la chaîne de valeur du mobile : voilà les axes d'innovation d'un opérateur du 21ème siècle qui ne se focalise pas que sur les coûts mais également sur l'innovation télécom "utile". Free en aura-t-il l'audace? A suivre dans quelques mois...

2 commentaires:

  1. Merci pour ce billet riche et clair sur les axes d'innovation d'un opérateur 2.0 .

    RépondreSupprimer
  2. Merci! Pour plus d'informations sur les opérateurs 2.0 je vous encourage à suivre les analyses du blog telco 2.0: http://www.telco2.net/blog/

    RépondreSupprimer