vendredi 27 juin 2014

Android TV : 3ème acte


A l'occasion de sa conférence I/O Google lançait le 25 Juin sa nouvelle offensive dans la TV connectée, Android TV. Après le lancement de Google TV annoncé en 2010 (relancé en 2011 puis renommé "Android avec Google Play Services pour TV" en 2013), de Chromecast, son "Dongle" (clé intelligente) à bas coût lancé l'année dernière, le géant de Mountain View a dévoilé sa dernière offensive dans le secteur: Android TV.

A la différence des précédentes initiatives, il ne s'agit pas d'une nouvelle plateforme dédiée à la TV mais d'une simple déclinaison de la nouvelle version Android "L", prévue pour l'automne 2014, et qui permet d'adresser nativement les TV, décodeurs et autres consoles de jeux. En clair cela signifie que les fabricants ou opérateurs pourront simplement porter Android L sur leurs TV ou box sans avoir à modifier l'OS en profondeur ou implémenter des fonctions spécifiques pour le petit écran. 

Alors que Google TV était un "fork" de versions assez anciennes d'Android, et ne proposait ni les mêmes API ni les mêmes fonctionnalités que la version "standard" pour mobile et tablette, Android TV partage la même base logicielle que tous les autres écrans. Cela simplifie grandement le portage d'applications existantes et garantit l'évolutivité des appareils l'utilisant.

En outre Google s'est associé à plusieurs fournisseurs de chipsets pour proposer une pré-intégration d'Android TV sur leurs "reference design", ce qui réduira grandement le temps et le coût de la mise sur le marché de nouveaux équipements. 



En parallèle trois fabricants établis ont annoncé avoir adopté l'OS sur tout ou partie de leurs gammes "Smart TV" : Sony, déjà partenaire de feu Google TV, va équiper toute sa gamme 2015 ; TPVision, plus connu sous sa marque Philips et qui utilise déjà une version modifiée d'Android sur ses TV haut de gamme, va utiliser la version officielle sur sa gamme 4K 2015 ; enfin Sharp va également adopter l'OS. Asus et Razr vont de leur côté lancer des consoles / streamer vidéo sous Android TV à la rentrée, sans doute rejoints par la plupart des fabricants de Shenzen qui proposent déjà des box sous Android "non officiel".

Enfin trois opérateurs IPTV sont annoncés comme partenaires : LG U+ en Corée du Sud, SFR et Bouygues Telecom en France. 

Quelles sont les grandes nouveautés d'Android TV par rapport aux anciennes versions de Google TV?

Une interface repensée en mode "Leanback"


Les équipes de Google ont tout d'abord réellement adopté l'interface Android pour une utilisation dans le salon. Cela passe par le développement d'un "launcher" spécifique qui s'affiche en incrustation ("overlay") au dessus du flux vidéo. Cette interface permet aux utilisateurs de naviguer rapidement dans la liste des contenus disponibles ou de lancer une application ; celles ci sont classées dynamiquement en fonction de l'usage de l'utilisateur, les applications les plus utilisées apparaissant en premier. Ce système rappelle les derniers "launchers" pour Android qui classent automatiquement les applications en fonction de l'usage ou du contexte utilisateur (heure, localisation...). 


Au niveau interface utilisateur, les prérequis concernant la télécommande ont été revus à la baisse par rapport à Google TV : seules les touches de navigation sont nécessaires, fini le clavier complet et le pointeur indispensable à l'utilisation sur les anciennes box. La navigation est globalement simplifiée, avec un défilement en croix, comme sur l'Amazon Fire TV. De même les contrôleurs de jeux sont supportés, l'utilisation ludique étant un des axes majeurs de la nouvelle plateforme, et une télécommande virtuelle est fournie, installable sur un mobile, une tablette ou même une montre connectée.


Enfin dernier point commun avec la box Amazon: la présence d'un microphone est très fortement recommandé pour faciliter la recherche dans le système d'exploitation et au sein des applications.
La fonction de recherche vocale permet d'ailleurs d'exploiter la puissance du moteur de recherche Google, les résultats pouvant provenir du web mais aussi de l'ensemble des applications installées.

Une meilleure intégration des applications TV

Ce moteur de recherche de contenu universel est rendu possible grâce à une meilleure intégration des applications dans le système d'exploitation. Celles ci deviennent plus "sociables" en exposant leurs contenus au moteur de recherche d'Android TV, et en permettant de lancer un contenu directement via un "lien profond". Le système se base sur le système d'indexation d'applications lancé au cours de Google I/O. 

En parallèle les applications peuvent également inciter de façon proactive les utilisateurs à les utiliser. A cette fin un nouveau type de notification système est disponible permettant à une application d'informer ses utilisateurs de la disponibilité d'un contenu. Ces notifications apparaissent sous forme de tuiles affichées de façon proéminente sur l'interface. Ces tuiles sont classées en fonction là aussi de l'usage - Google promet de traiter toutes les applications sur le même pied, ce qui reste à démontrer...


En parallèle les ingénieurs de Mountain View ont mis l'accent sur la nécessité de fournir une expérience cohérente dans toutes les applications Android TV, au niveau de la structure des applications, de la navigation entre les différents menus, de la présentation des contenus et de la lecture vidéo. A cette fin une librairie de développement nommée "LeanBack" est mise à disposition des développeurs pour faciliter la création d'applications respectant les recommandations d'Android TV. 

Trois applications ont été présentées par Google : Google Play qui suit l'ensemble des recommandation LeanBack, Youtube qui a repris le menu de navigation vertical  tout en conservant son système de cartes (disponible sur toutes ses applications TVs). Enfin la chaîne Showtime a choisi de conserver son UI existante, celle ci étant déjà dans la même philosophie "leanback".

L'utilisation des librairies reste donc facultative, d'autant plus que la publication des applications n'est toujours pas modérée par Google.

Pour accélérer le portage d'applications sans attendre la sortie des premiers appareils compatibles, Google fournit déjà une "box" de développement nommée poétiquement "ADT-1". Mais preuve de la rupture avec la génération Google TV, seules les nouvelles applications indiquant expressément supporter le mode "leanback" seront listées sur les appareils compatibles Android TV, les anciennes n'apparaissant pas.

Autre nouveauté et non des moindres: le support natif du protocole "Google Cast". Il sera donc possible non seulement de lancer des applications conçues pour Chromecast (type web app) sur un appareil compatible Android TV, mais également d'implémenter la partie "receiver" du protocole Cast dans des applications natives, afin de les contrôler depuis un autre appareil sous Android, iOS ou Chrome. 

Android TV proposera donc 4 possibilités d'interaction avec une application :
  1. Via une télécommande physique contrôlant directement l'application sur la TV;
  2. Via une télécommande virtuelle installée sur un second écran, contrôlant la même application ;
  3. Depuis une application installée sur un second écran "castant" simplement un contenu sélectionné sur la TV, qui agit alors en simple récepteur, mais via une application spécifique Android TV
  4. En dupliquant simplement le contenu d'une application pour en afficher le contenu sur la TV, sans avoir besoin d'une application spécifique sur la TV (équivalent de AirPlay).

Une meilleur support des flux TV en direct

Dernière amélioration d'Android TV: la gestion des flux TV en direct. Un nouveau "framework" dédié à la TV permettra aux appareils Android TV de gérer de façon transparente (pour l'utilisateur) les différents flux vidéos en direct, et ce quelle que soit la source: flux antenne via un tuner TNT intégré, flux câble/satellite via un décodeur externe, flux vidéo sur IP via un réseau managé ou flux streamé via une application dédiée. Dans tous les cas, l'utilisateur aura accès à la même expérience, et ne devra par "jongler" entre les différentes applications ou télécommandes. 

Via un système d'extensions logicielles, l'application TV de Google communiquera directement avec les différentes applications ou box pour récupérer les informations sur le programme en cours et envoyer les commandes de lecture, changement de chaîne etc. Cela permettra d'éviter d'avoir à utiliser la technique du "HDMI passthrough" et de l'émetteur infrarouge de l'ancienne Google TV. Cela suppose bien sûr que chaque éditeur d'application ou constructeur de box joue le jeu en développant ces extensions ou en ouvrant ses APIs pour permettre le développement de "télécommandes virtuelles".

Côté formats vidéos, Android TV supportera directement la plupart des protocoles de streaming, DRMs, codecs vidéos, ainsi que les extensions EME HTML5 chères à Netflix. Un player vidéo natif "Exo Player" open source est également fourni pour autoriser l'ajout de nouveaux formats. Bref Google "ratisse large" pour attirer la majorité des fournisseurs de contenus sur la nouvelle plateforme.

Conclusion : same player, try again?


On ne peut pas reprocher à Google de ne pas mettre les moyens pour conquérir le marché de la TV connectée. La grande nouveauté de ce nouvel essai est l'intégration complète de l'initiative à Android, y compris au niveau des équipes (différentes de celles de Google TV). Cette approche unifiée laisse entrevoir l'arrivée d'appareils "hybrides" qui pourront être utilisés à la fois comme appareils mobiles et comme décodeur TV: on peut imaginer à terme que n'importe quel mobile ou tablette disposant d'une sortie HDMI puisse devenir un décodeur TV. 


Plusieurs obstacles restent toutefois à franchir. Le mode de distribution d'Android TV reste indirect; les "clients" sont toujours les fabricants de TV et les opérateurs IPTV et non le grand public, comme pour l'Apple TV ou la Fire TV. Il n'est pas sûr que les industriels soient enthousiasmés par la perspective de laisser Google gérer l'interface utilisateur de leurs produits, d'autant plus que Google a indiqué que l'utilisation du "launcher" officiel Android TV serait obligatoire. Les premiers opérateurs IPTV partenaires ont d'ailleurs mis l'accent sur la différentiation de l'interface utilisateur, que soit Bouygues Telecom avec sa nouvelle box "Miami" ou SFR. 
Ce manque de différentiation explique également que les grands fabricants de TV comme Samsung ou LG privilégient encore leurs propres OS pour la TV Connectée.

La disponibilité du matériel ensuite. Les spécifications minimums demandées pour être certifié Android TV sont assez importantes et correspondent à une box ou une TV moyen à haut de gamme, ce qui limitera d'autant le marché adressable.

La disponibilité des contenus enfin. Android TV introduit une nouvelle étape dans la délinéarisation de l'audiovisuel: non seulement la TV en direct est traitée au même niveau que les autres applications vidéo, mais à présent tous les flux vidéo live sont traités de la même façon, qu'ils utilisent des ressources rares comme le hertzien, des réseaux "en dur" comme le câble ou de simples applications de streaming vidéo. Le risque est que les grandes chaînes et distributeurs TV boycottent la nouvelle plateforme comme ils avaient boycotté Google TV ou Chromecast et refusent de porter leurs applications voire menacent de bloquer leurs flux.

Rendez vous donc  l'année prochaine à Google I/O pour savoir si cette troisième offensive aura été la bonne ou si Google doit à nouveau changer son fusil d'épaule pour réinventer la TV de demain. A moins qu'Apple se soit enfin décidé à le faire à sa place...

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