lundi 14 juin 2010

La chimère du contrôle du flux



Lors de la conférence "La Nouvelle Expérience TV" du 9 Juin dernier organisée par le Master 226 de Paris Dauphine, les chaînes françaises présentes (TF1, M6, Arte) ont encore une fois répété leur crédo (légèrement incantatoire) sur la TV connectée : elles veulent conserver "le contrôle de leur flux". En d'autres termes, elles ne souhaitent pas que viennent s'incruster au dessus de leurs émissions une multitude de widgets, tags et autres extraits du web qui viendraient polluer leurs contenus (et surtout détourner l'attention de leurs téléspectateurs).


Pour souligner cette volonté elles s'apprêtent à publier une charte de bonne conduite à destination des fabricants mais aussi des opérateurs télécoms, qui indique que les chaînes "ne souhaitent pas que des applications éditées par des tiers ou non sollicitées par le téléspectateur viennent parasiter leurs antennes", que les incrustations sur l'écran "ne peuvent être contrôlés que par le seul éditeur de la chaîne concernée" et ne peuvent être "ni un choix proposé par un tiers, opérateur, industriel ou fournisseur de service, ni un choix paramétré par le téléspectateur lui-même ne sont acceptés". Bref, même si le téléspectateur a acheté un écran plat vendu comme "compatible internet", c'est toujours l'éditeur de contenu qui conserve la main sur ce qui s'y affiche (on espère que cette charte n'interdira pas l'utilisation de la télécommande). Les fabricants et opérateurs qui ne se conformeraient pas à cette charte risqueraient de ne pas pouvoir accéder à certains services interactifs, comme la vidéo à la demande ou la télévision de rattrapage.


L'enjeu pour les chaînes est de ne pas perdre le contrôle de l'attention du téléspectateur, surtout pendant les pauses publicitaires qui risqueraient d'être remplacées sur certains téléviseurs par des sessions Facebook ou Twitter (peut être d'ailleurs pour commenter le programme en cours - et après tout, est ce si grave? N'est ce pas un autre moyen de conserver voire renforcer l'attention du téléspectateur en le rendant plus actif ?).


Un problème fondamental de cette approche est qu'avec l'arrivée de la Google TV ou de la future "Apple iTV" la barrière entre flux télédiffusés et contenus internet va progressivement disparaitre, de même que la frontière entre PC et télévision. Menacer d'interdire l'accès à ses propres programmes interactifs c'est risquer au mieux de rediriger les téléspectateurs vers la version "web" de ces mêmes programmes, au pire de favoriser le piratage. Sachant que les premiers utilisateurs des TV connectées (hors décodeurs IPTV) sont principalement des utilisateurs internet avertis, qui préfèrent avoir accès à Youtube plutôt qu'à certains programmes de "replay TV".


Et que dire de l'initiative de VàD sur la TNT visant à fournir une alternative à la vidéo à la demande sur IP des opérateurs ? Outre une architecture technique archaïque (assez proche de ce que Canal+ offrait à ses abonnés il y a près de 10 ans...), elle laisse de côté la question du financement de l'équipement pour le téléspectateur, point bloquant de toutes les "set top box", mêmes celles vendues par Apple


La vraie solution pour les chaînes est d'investir sur des programmes interactifs (quand bien même ceux-ci "ne sont pas rentables" selon Nicolas de Tavernost). La dé-linéarisation des programmes ne signifie pas forcément que les chaînes vont devenir des banques de contenus à la demande; en trouvant de nouveaux moyens d'impliquer les téléspectateurs en temps réel dans leurs programmes, en multipliant les grands rendez-vous susceptibles de les faire converger en simultané sur une même émission et en augmentant les possibilités de personnalisation des programmes, les chaînes pourront conserver voire renforcer leur "contrôle" du flux. Avec à la clé probablement moins de rediffusions de séries américaines et de la Grande Vadrouille, mais plus de créations originales et d'émissions en direct. Qui s'en plaindra?


Un autre grand chantier pour les chaînes est la remise en cause du format publicitaire télévisé, non seulement en développant des "mini sites interactifs" mais surtout en changeant le système de ciblage et de personnalisation des clips publicitaires, sur le modèle de ce qui se fait sur Internet. Ceci fera l'objet d'une prochaine chronique sur la "publicité télévisée 2.0".


A suivre...

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