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lundi 2 septembre 2019

Salto, 2 ans pour convaincre

Après des lenteurs au démarrage, le projet Salto avance enfin. Rappelons qu'il vise à développer une offre payante rassemblant les "meilleurs" contenus en direct et à la demande des chaînes françaises. Avant même l'agrément de l'autorité de la concurrence, reçu mi-Août TF1, France Télévisions et M6, les trois fondateurs de Salto, avaient déjà choisi d'utiliser 6Play comme socle technique du nouveau service ; M6 a d'ailleurs recruté le directeur technique de Molotov pour piloter les futures évolutions techniques de 6Play et donc celles de Salto.

Depuis les actionnaires n'ont pas chômé : création de la société et d'une holding avec pour objectif annoncé un lancement du service "au printemps 2020".



Ce calendrier serré est nécessaire face à l'accélération du marché des services TV OTT (Over The Top, diffusés via l'internet ouvert). Ainsi du côté des services vidéo sur abonnement (sVOD) on annonce l'arrivée en France d'Apple TV+ à l'automne et de Disney+ début 2020, puis de HBO Max à l'expiration du contrat de distribution HBO avec OCS d'ici 2022, voire d'un nouveau service Sky/Comcast/NBC. Les services gratuits financés par la publicité (aVOD) comme Pluto, Roku TV, IMDBtv d'Amazon et autres Tubi ne sont pas en reste et ont eux-aussi le marché français dans le viseur.


En parallèle Netflix est annoncé à plus de 5 millions d'abonnés, tandis que son concurrent Prime Video améliore son offre en développant ses contenus originaux et en lançant son bouquet de chaînes OTT Prime Channels. Enfin Canal+ Series aurait déjà séduit 1 million d'abonnés depuis son lancement en Avril.

D'ici 2 ans c'est près d'une dizaine de services OTT, tous richement dotés, qui se disputeront le marché, sachant que les foyers français sont rarement abonnés à plus d'un service à la fois. Il est donc normal d'être sceptique sur les chances de succès d'une nouvelle offre franco-française, surtout au vu des nombreux engagements pris devant l'Autorité de la Concurrence.



Dans ces conditions quelles sont les pistes pour que Salto s'établisse sur le marché ?




Tout d'abord en officialisant le divorce entre opérateurs et chaînes de TV et en surfant sur la conversion à l'internet ouvert du marché de la TV aux dépens du monde fermé des box opérateurs. 


En effet les box ne sont plus le "jardin muré" à l'abri des acteurs OTT étrangers ; les opérateurs proposent à présent Netflix, YouTube et Prime Video, qui vient de signer avec SFR, et en font des éléments clé de leur communication. Ils sont sans doute déjà en train de négocier avec Disney+ (qui a signé avec Charter, le 2ème cablo-opérateur américain) voire avec Apple pour TV+, si celui-ci souhaite étendre la distribution de son nouveau service au delà de l'OTT. 



Face à cela, et au lieu de négocier une présence sur les box opérateurs (qui aurait de toute façon peu de sens compte tenu des accords de distribution entre chaînes et opérateurs), la stratégie de Salto devrait au contraire d'être présent sur un maximum d'appareils OTT (box, consoles, TV connectées...) via une stratégie d'hyper-distribution, tout en axant sa communication sur les "box cutters" (ceux qui se contentent d'un abonnement internet  ou mobile sans box TV).


Certes Salto trouvera sur sa route les autres acteurs de l'OTT, mais cette stratégie permettra de répondre aux fabricants très demandeurs de nouveaux services vidéo "premium" locaux. Apple tente depuis 2 ans d'enrichir sa TV App via des partenariats locaux; Amazon fait de même en préparation du lancement de sa gamme complète Fire TV mais aussi pour ses écrans intelligents Echo Show, tout comme Google avec son Nest Hub; enfin Facebook travaillerait lui aussi sur une box OTT proposant des services vidéo premium. 

D'autres acteurs sont en embuscade, comme Roku (qui pourrait relancer sa gamme en France) ou les nouveaux constructeurs chinois de TV connectée (Xiaomi, OnePlus, Huawei ...). Salto pourrait même aller jusqu'à proposer un "pack OTT complet" avec un partenaire, intégrant une box ou une TV et plusieurs mois d'abonnement, comme Sky Now a pu le faire lors de son lancement en Espagne.

Afin de compléter sa distribution Salto pourrait aussi tenter de ressusciter le HbbTV en France, où le standard est né mais n'a jamais décollé ; c'est d'ailleurs la stratégie qui est suivie par LovesTV, le "Salto espagnol". Cependant face à la proportion croissante des foyers français qui reçoivent la TV via IPTV, et en l'absence de services HbbTV gratuits à même de les convaincre de brancher leur TV, le potentiel de ce canal de distribution reste limité. 



Pour pousser les utilisateurs à "embrasser l'OTT" il faudra aussi à minima que Salto propose l'équivalent des fonctions d'une box opérateur : contrôle du direct, possibilité d'enregistrer des programmes en direct (par exemple via une offre type nPVR), guide des programmes complet (Hulu pourrait être une belle inspiration) et catalogue de programmes en replay. Mais il faudra aller plus loin en proposant des fonctionnalités originales, par exemple la création de chaînes virtuelles thématiques à partir de programmes en direct et à la demande.


Même en proposant des fonctions innovantes le risque sera d'être rapidement copié par d'autres acteurs dynamiques, comme  myCanal ou Molotov, voire par les services gratuits des chaînes elles-mêmes. Les actionnaires de Salto ne pourront d'ailleurs lui réserver l'exclusivité de certaines fonctionnalités, du fait de leurs engagements auprès de l'Autorité de la Concurrence.



Autre piste, s'appuyer sur un service existant pour ne pas démarrer de zéro. Là aussi impossible de recruter directement dans la base des utilisateurs enregistrés sur les services gratuits des chaînes (myTF1, 6Play, france.tv). Reste l'acquisition de la base d'un service tiers comme Molotov, qui est toujours à la recherche de nouveaux investisseurs. Les actionnaires de Salto avaient d'ailleurs tenté de l'intégrer au projet mais les négociations avaient échoué en 2018. Si Salto parvenait d'une façon ou une autre à récupérer la base de Molotov cela lui permettrait de bénéficier d'une belle "rampe de lancement";  encore faudrait-il encore convaincre des utilisateurs majoritairement gratuits de payer pour avoir accès au même service.




Salto pourrait également tenter de s'allier avec d'autres acteurs complémentaires pour proposer des offres groupées, comme le font de plus en plus les acteurs de l'OTT. Des offres communes avec Deezer pour la musique, LeKiosk pour la presse, UPlay d'Ubisoft pour les jeux vidéo voire avec d'autres services de vidéo à la demande pourrait faire sens. Il sera cependant difficile de se différencier face à d'autres acteurs ayant la même stratégie, comme Canal+ qui propose déjà leKiosk et discute avec Netflix et Amazon.




Reste l'achat ou la production de contenus originaux, nécessaires vu que Salto doit acquérir 60% de son catalogue en dehors de TF1, France TV et M6. Avec un budget limité (45 millions soit la moitié du budget de Canal+ pour ses seules créations originales) il faudra être inventif. Par exemple en faisant appel aux YouTubeurs des MCN gérés par ses actionnaires (Golden Moustache pour M6, Studio 71 pour TF1) afin de produire des émissions originales. Mais la clé sera sans doute aussi de mutualiser les investissements avec des services équivalents dans les autres pays européens, comme Britbox au Royaume-Uni, Joyn en Allemagne, LovesTV en Espagne. A condition que ceux-ci n'aient pas eux aussi dans l'idée de se lancer en France...




Quelle que soit la stratégie retenue, les concurrents fortunés et réactifs ne manquent pas pour Salto. Comme pour toute nouvelle entreprise le succès ou l'échec du service dépendra aussi en grande partie de son management et du soutien à long terme de ses actionnaires. Et dans un paysage aussi concurrentiel et évolutif que le marché de l'OTT il sera difficile d'attirer les meilleurs et de les conserver, surtout si les résultats ne suivent pas... Rendez-vous d'ici 2 ans pour savoir si le pari est réussi.

[Edit du 17/9/19 : l'avis complet de l'Autorité de la Concurrence a été publié; les groupes TF1, France TV et M6 auront bien le droit de faire de la promotion croisée depuis leurs services de replay vers Salto, ce qui permettra au service de ne pas démarrer de zéro]

[Edit du 21/11/22 : 2 ans après son lancement, les trois actionnaires de Salto auraient décidé de se retirer et chercheraient un repreneur]


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