Les 19 et 20 Mai 2010 aura lieu à San Francisco la conférence Google I/O rassemblant plus de 3000 développeurs travaillant sur l'une des plateformes Google, depuis Android jusqu'à Wave.
A cette occasion devrait être présentée la "Google TV", une évolution du système d'exploitation Android ciblant les décodeurs et les TV connectées. Selon les rumeurs du secteur, Sony fournira les premiers appareils compatibles tandis que Logitech est pressenti pour développer des périphériques de type télécommande ou clavier. L'idée étant de préparer les nombreux développeurs invités à Google I/O à l'arrivée de cette nouvelle plateforme afin qu'ils préparent des applications compatibles.
Qu'est ce qui est en jeu ? Tout simplement le marché de la publicité TV interactive, prochain terrain de bataille après la publicité mobile. Les acteurs "traditionnels" de l'audiovisuel (diffuseurs, éditeurs, cablo-opérateurs) se trouvent aujourd'hui dans la même situation que les opérateurs mobiles en 2006-2007, avant l'arrivée des nouveaux terminaux internet mobile comme l'iPhone. Ils ont investi pour introduire Internet dans leurs services, mais surtout pour assurer la pérennité de leur modèle économique en créant des plateformes propriétaires ("walled garden"). Ils risquent fort de subir le même sort que les opérateurs télécoms, et devenir de simple "tuyaux" tandis que d'autres bénéficient des retombées économiques provenant des nouveaux services interactifs.
En effet avec cette nouvelle plateforme Google se donne les moyens de contourner l'ensemble des acteurs traditionnels de l'audiovisuel pour s'adresser directement aux spectateurs. Plutôt qu'aller convaincre chaque fournisseur de contenu d'autoriser l'ajout de ses émissions sur YouTube, ou chaque cablo-opérateur de permettre un accès amélioré à ses services, Google cible directement le bout de la chaîne : le poste de télévision.
Le but n'est pas de développer une énième plateforme permettant de naviguer sur des sites web depuis son téléviseur; l'objectif de Google est plus ambitieux. Tout d'abord devenir le point d'entrée et l'outil de navigation entre les contenus télévisés, tout comme Google Search est devenu le point d'entrée de référence des services web (position aujourd'hui contestée par Facebook). Un grand nombre d'internautes n'entrent plus une adresse internet dans leur navigateur internet, ils la tapent dans le moteur de recherche et accèdent ensuite au site demandé, ou à un site équivalent mis en avant par les fameux "Google Ads". Si Google arrive à répliquer ce modèle en devenant l'outil de navigation d'une chaîne à une autre, il détiendra la clé de la TV interactive. Après tout l'expérience de navigation sur la TV n'a pas beaucoup changé depuis le lancement de ce média : le système de numérotation et la télécommande à touches ressemblent furieusement à un téléphone "pré-iPhone". Cette volonté de repenser la navigation explique sans doute la présence de Logitech, spécialiste des télécommandes universelles et périphériques d'ordinateur, dans le projet "Google TV".
Puis, la possibilité de superposer des informations contextuelles au contenu visionné en temps réel. Pour cela Google dispose déjà d'outils avancés sur Youtube permettant d'identifier un contenu vidéo pré-enregistré (ironie de l'histoire, cette fonction a été améliorée à la demande des chaînes et fournisseurs de programme pour lutter contre le piratage) et de sous-titrer automatiquement les flux "live" grâce à la reconnaissance vocale. En intégrant ces technologies au niveau du téléviseur ou du décodeur, Google sera en mesure d'afficher en temps réel des informations sur un programme diffusé, sans coopération particulière du diffuseur. Par exemple proposer une traduction en temps réel, afficher des contenus équivalents diffusés sur d'autres chaînes, proposer la commande d'une vidéo à la demande ... Bref, répliquer le modèle Youtube sur tous les contenus télévisés, en éliminant les problèmes de droits.
Enfin, se substituer aux régies publicitaires traditionnelles en offrant un nouveau système de diffusion de publicité TV ciblée. Au lieu de diffuser une publicité en fonction de l'audience attendue du programme associé, la Google TV pourra permettre aux annonceurs de diffuser leurs publicités seulement aux spectateurs correspondant à certains critères. D'ailleurs Google propose déjà aux annonceurs américains une place de marché permettant d'acheter des espaces publicitaires sur les chaînes partenaires. Cette volonté est confirmée par la prise de participation de Google dans Invidi Tech, qui propose une technologie de ciblage des publicités en fonction des préférences des spectateurs s'intègrant directement dans les décodeurs.
Pour réaliser ces objectifs Google a besoin de déployer sa technologie au plus près de l'abonné, sur le téléviseur ou sur un adaptateur s'insérant entre la télévision et les différents décodeurs de l'abonné. De cette façon la société pourra contrôler complètement l'expérience utilisateur et intégrer les flux audiovisuels dans sa propre interface.
Que doivent faire les sociétés du secteur face à cette menace? Soit continuer la politique actuelle de contrôle de l'ensemble de la chaîne, alliant technologies propriétaires et lobbying pour obtenir une protection du régulateur, en risquant de subir le même sort que les opérateurs mobiles après l'arrivée de l'iPhone. Soit prendre de vitesse Google et s'allier pour mettre en place une plateforme ouverte, comme l'HBB TV, à condition que ce standard soit adopté par tous les acteurs du secteur et ouvert aux tiers. A ce titre la France et ses 8 millions d'abonnés à la TV par ADSL représenterait un terreau idéal pour lancer une telle plateforme de TV interactive disposant d'une réelle masse critique.
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