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mardi 28 mai 2013

Les nouveaux Rois du Salon

Il y a 12 ans, je publiais un article sur "le roi du salon" décrivant la bataille en préparation pour le titre de plateforme dominante du foyer numérique, sur laquelle s’appuiera tout l'écosystème du salon connecté. Plus d'une décennie plus tard force est de constater que la bataille est toujours en cours.


Vivendi, AOL TW: (Dé)sintégrations verticales
Retour en 2001. Alors que la bulle internet a éclaté un an plus tôt, la mode est encore aux grandes fusions dans les médias et les réseaux, qui ont donné naissance à deux géants : Vivendi Universal et AOL Time Warner. 


Le premier s'appuye sur sa présence mondiale dans les contenus (Studios Universal et Universal Music), les réseaux satellitaires (Canal Plus et ses filiales étrangères) et le mobile via son partenariat avec Vodafone qui a donné naissance à Vizzavi, premier "portail" multi-écran. 


Le second réunit la plus grande entreprise de média (magazines Time, studios Warner, Warner Music, CNN...), le second câblo-opérateur aux Etats-Unis et le premier fournisseur d'accès internet mondial, avec la volonté de créer un gigantesque "jardin clos" accessible sur PC et TV.


Les deux conglomérats échoueront, du fait de prévisions trop optimistes (l'internet haut débit fixe et mobile ne décolleront réellement que quatre ans plus tard), de la complexité de gestion de conglomérats, de la défiance des investisseurs suite au 11 Septembre et sans doute aussi de "l'hybris" de leurs dirigeants.


Aujourd'hui Vivendi n'a toujours pas réussi à créer de synergies entre ce qui lui reste d'activités médias et ses réseaux télécoms (exemple frappant: Canal Plus et SFR proposent chacun leur propre décodeur TV haut de gamme), tandis que AOL Time Warner s'est recentré sur le cinéma et les chaînes de télévision aux Etats-Unis. Ni l'un ni l'autre ne peuvent plus prétendre aujourd'hui à la couronne mondiale de "roi du salon".

Si les autres géants des médias globaux (Viacom, Disney, NewsCorp, Bertelsmann) ou locaux, ont connu eux aussi leur lot de fusions et fissions ces dix dernières années,  ils ne sont plus aujourd'hui en mesure de contrôler leur propre destinée au sein du foyer numérique. Les studios américains se sont bien alliés au sein de Hulu afin de se positionner sur le marché de la vidéo à la demande, mais semblent aujourd'hui prêts à s'en séparer au profit d'un acteur Web (Yahoo étant le dernier candidat en lice). 


Les opérateurs, régents du foyer

Au cours des dix dernières années les grands gagnants de la bataille du salon numérique auront finalement été les opérateurs télécoms (principalement en Europe) et les câblo-opérateurs (surtout aux Etats-Unis). Ils ont su capitaliser sur de nouvelles habitudes de consommation (replay, vidéo à la demande) grâce à leur réseaux haut débit , leurs bouquets de services propriétaires mais surtout à leurs décodeurs intelligents, les fameuses "box" inspirées de la Home Gateway de Pace.


Mais l'heure de gloire des opérateurs de réseau touche à sa fin. Aux Etats-Unis les câblo-opérateurs sont confrontés aux "cord cutters" qui se désabonnent des bouquets à forte valeur ajoutée pour ne conserver que l'accès internet et utiliser tablettes, décodeurs"Over The Top" (sans réseau dédié comme Roku, Apple TV, Boxee) ou Smart TV pour accéder aux services de vidéos à la demande illimitée. En parallèle une startup américaine propose l'accès légal à la TV hertzienne depuis un iPhone et iPad, hâtant ainsi le "dégroupage" et la virtualisation des chaînes américaines via des applications dédiées.

De leur côté les box IPTV et (les offres associées) des opérateurs télécoms ne peuvent s'adapter au "temps internet": trop locales, trop rigides, reposant sur des technologies propriétaires, souffrant de cycles de déploiement et de renouvellement trop longs. Au point que beaucoup d'opérateurs réfléchissent à se passer de décodeur matériel et à transformer leur offre IPTV en applications, tandis que d'autres penchent vers l'utilisation de décodeurs basés sur Android.



Microsoft, le marathonien 


De tous les acteurs à vocation globale cités il y a 12 ans, seul Microsoft est encore en lice dans la course au trône numérique mondial. Après de nombreux échecs (MSN TV, Ultimate TV...), la Xbox est devenu le cheval de troie au sein du foyer, avec près de 100 millions d'unités vendues dans le monde. Le lancement de Kinect a permis de renforcer l'attractivité de la plateforme, et de révéler son potentiel dans le domaine de l'interactivité au sein du salon. Microsoft a également réussi à étendre la distribution de la console grâce à des partenariats avec certains opérateurs IPTV, qui proposent la Xbox à la place de leurs box maison. Symbole de ce virage, la vente par Microsoft de sa filiale MediaRoom spécialisée dans les plateformes IPTV en marque blanche.

La semaine dernière Microsoft annonçait enfin la sortie de la dernière version de sa console nommée simplement "Xbox One". Parmi les principales nouveautés on notera :

  • le retour à une architecture matérielle de type PC/x86, similaire à celle de la PlayStation 4 annoncée quelques semaines auparavant;
  • le rapprochement avec Windows 8: outre une base matériel "type PC" , l'environnement de développement Xbox est similaire à celui de Windows 8 pour les applications de type Smart TV ("Html5");
  • Ces deux points entraînent une première limitation: la console sera incapable de faire fonctionner les jeux conçus pour la Xbox 360 ou les applications Smart TV développées pour celle-ci.
  • l'activation permanente de la caméra Kinect et de la reconnaissance vocale pour permettre de lancer la console à tout moment par en prononçant "Xbox On", mais aussi un jour pour vérifier que les utilisateurs regardent bien les publicités diffusées...
  • la possibilité de faire fonctionner plusieurs applications en simultané, par exemple pour passer un appel Skype pendant un jeu ou bien pour afficher des informations contextuelles à une émission en cours (exemple: afficher les résultats des autres équipes en incrustation d'une rencontre sportive en direct ou en replay)
  • le positionnement de la console en Boitier TV sur laquelle se branche les autres périphériques (entrée et sortie HDMI) et qui peut également les contrôler ( émetteur infrarouge, support du HDMI-CEC). Ce positionnement est identique à celui de la première Google TV, la Logitech Revue, et est nécessaire pour garantir l'accès à la TV en direct dans l'interface Xbox à tous les utilisateurs. Cependant ce fonctionnement est très contraignant et a été vu comme l'une des causes de l'échec de la version "boitier" de la Google TV.
  • Enfin le focus mis par Microsoft lors de la présentation de la console sur les contenus TV que ce soit via le replay, via l'enrichissement du flux Live ou via les applications de TV à la demande. En particulier Microsoft intégrera à sa dernière console un guide des programmes TV complet et plusieurs fonctions de TV sociale (tableau de bord des émissions tendances, fonction canapé virtuel via Skype).
Ce double positionnement console de jeu / plateforme TV "Over The Top" peut apparaître risqué face à une Playstation 4 beaucoup plus centrée sur le Jeu multi-écran. Cependant après les échecs de Windows Phone sur le mobile et de Windows 8 sur les tablettes tactiles, et au moment où les ventes de PC s'effondrent, Microsoft se doit de réussir sur le dernier écran où les positions ne sont pas encore figées : la TV.

Google marche sur deux pieds


Un nouvel acteur s'est progressivement positionné dans la course au cours de ces dix dernières années, passant de la recherche à la création de plateformes : Google. Sa plateforme tactile Android domine aujourd'hui le marché du mobile (près de 75% des appareils vendus au 1er trimestre selon Gartner) et des tablettes (56% selon IDC), tandis que Chrome prend progressivement l'ascendant sur le marché des navigateurs.


La dernière conférence Google I/O a justement été l'occasion de découvrir la stratégie de Google pour reprendre le contrôle d'Android, développer les synergies entre Android et Chrome et transformer Chrome en véritable plateforme :
  • Ralentissement du rythme des développements sur le système Android (sur lequel Google a peu de contrôle du fait de la disponibilité de son code en open source) au profit des services propriétaires fournis par Google: Google Play, Google Maps, Google+... Ceux ci deviennent indispensables aux utilisateurs et développeurs Android, complexifiant ainsi les stratégies "Android sans Google".
  • Ajout dans Chrome (le navigateur) de fonctionnalités se rapprochant de celles que l'on trouve sur Android: gestion des notifications, support des applications natives avec lancement en dehors du navigateur, fonction d'achat "in-app", accès aux fonctions matérielles... Google permet ainsi aux développeurs de créer et monétiser des applications desktop complètes qui fonctionneront aussi bien sur Windows, OSX, Linux et bien sûr Chrome OS (la version "Système d'exploitation").
  • Nouvelles possibilités  de synchronisation entre Chrome et Android, avec par exemple la possibilité d'envoyer la même notification synchronisée sur les deux plateformes, l'utilisation de Google+ pour l'authentification et l'installation en un clic d'une application sur Android ou Chrome ou la possibilité de partager des données entre les applications des deux plateformes (notamment pour les jeux).
En parallèle Google tente depuis 2 ans avec Google TV de créer une nouvelle plateforme dédiée pour les fabricants de TV et les opérateurs. Cette stratégie semble aujourd'hui mise de côté au profit d'un rapprochement avec les plateformes Android et Chrome:
  • D'une part les appareils fonctionnant sous Google TV (sauf les appareils utilisant des processeurs Intel) seront mis à jour sur la dernière version d'Android "Jelly Bean". Les développeurs pourront ainsi porter plus facilement leurs applications mobiles et tablettes, d'autant plus qu'ils auront accès au kit de développement natif "NDK" pour de meilleures performances. Cette évolution sera particulièrement utile pour les développeurs de jeux. 
  • De l'autre la version embarquée du navigateur Chrome sera mise à jour vers la dernière version disponible sur PC et mobile. Ceci lui permettra de bénéficier des dernières technologies web (WebRTC) mais également de supporter les extensions Html 5 pour la gestion du DRM ou de formats vidéos spécifiques. Cette évolution cible davantage les développeurs de sites et d'applications Smart TV, notamment les médias. A noter que le support du Flash est abandonné.
Reste le problème de la distribution : comment convaincre les constructeurs et opérateurs d'utiliser les plateformes de Google dans le salon numérique ? 
  • Positionner la Google TV en plateforme de jeu face à l'arrivée des consoles PS4 et Xbox One pour permettre aux Samsung, LG... de proposer des produits concurrents motorisés par Google.
  • Permettre le déploiement de tout ou partie de Google TV (par exemple, uniquement la version TV du navigateur Chrome et ses applications ) sur une plus grande gamme d'appareils: "dongle" Android à bas coût, décodeurs TV ou lecteur Blu Ray ne fonctionnant pas sous Android, moniteurs PC, voire tout simplement mobile ou tablette disposant d'une sortie TV HDMI ou d'une connexion Miracast
  • Ou tout simplement attendre l'apparition d'une nouvelle plateforme qui incitera les acteurs existants à abandonner leur approche propriétaire - l'équivalent de l'iPhone.
Apple, l'éléphant dans la pièce

Dans le domaine du salon numérique Apple est "l'éléphant dans la pièce", qui patiemment met en place toutes les pièces de son écosystème (iTunes, iPod, iPhone, iPad, Apple TV AirPlay, iCloud) avant le lancement de la "mythique" Apple iTV, dernier coup de maître posthume de Steve Jobs. 
Oui mais encore faut-il que ses successeurs décident que l'offre produit (matériel, logiciel, applications mais aussi contenus TV) est suffisamment aboutie pour soutenir la comparaison avec les lancements de l'iPhone en 2007 et l'iPad en 2010. 

A défaut de créer une telle offre les dirigeant d'Apple pourraient se contenter de positionner l'Apple TV comme alternative aux Xbox One et PS4, pourquoi pas avec l'aide d'Intel (dont l'ennemi juré AMD équipe les consoles de Microsoft et Sony). Dans tous les cas Apple a les moyens de ses ambitions, comme le faisait remarquer un participant à la conférence Connected TV « la capitalisation boursière d’Apple est aujourd’hui, à elle seule, une fois et demi supérieure à celle de tous acteurs de la TV payante réunis ! ».

Amazon, le "loss-leader" par excellence

Enfin dernier acteur qui s'apprête à concourir pour le trône : Amazon. La rumeur lui prête l'intention de lancer un boitier TV à l'automne, à priori une déclinaison de sa plateforme tactile Kindle basée sur Android (sans Google). Outre sa boutique d'applications, son offre de stockage en ligne (Amazon Cloud Drive) et son service de Vidéo à la Demande (LoveFilm) Amazon possède plusieurs avantages clés:
  • Une infrastructure d'hébergement d'applicatons en ligne et de distibution de contenus rivalisant avec celles de Microsoft et Google,
  • Une capacité à travailler en bonne intelligence avec des concurrents (Amazon Marketplace, Amazon Web Services) le rendant globalement moins effrayant que Apple ou Google vis à vis des acteurs existants
  • Ses algorithmes de recommandation, son service client et plus généralement sa bonne image auprès de ses clients sont des atouts indéniables pour la commercialisation de produits complexes comme les nouvelles offres numériques
  • Enfin sa capacité à proposer ses propres matériels (Kindle en tête) en direct et à prix coûtants lui permettra de se positionner face aux boîtiers "gratuits" proposés par les opérateurs de réseaux.
Les arbitres...

Face à ces quatre géants quelques sociétés sont susceptibles de se positionner en arbitre, en favorisant l'une ou l'autre des plateformes.

Tout d'abord les constructeurs TV. Malgré leurs efforts pour développer leurs TV intelligentes ils peinent à créer des plateformes aussi intégrées que celles d'Apple, Google, Microsoft ou Amazon. Certains d'entre eux se sont réunis au sein de la "Smart TV Alliance" pour convenir de standards communs pour les applications Smart TV; cela sera insuffisant face à des spécialistes du logiciel et des services en ligne. Si on les voit mal s'allier à Apple (pour qui le matériel est clé) ou Amazon (pour qui le matériel est un centre de coût) ils pourront choisir de s'allier à Microsoft ou Google.


Ensuite les chaînes de TV qui ont encore sur leurs marchés locaux un accès quasi exclusif aux contenus TV "premium": séries, droits sportifs, franchises d'émissions ainsi qu'une certaine connaissance de leur audience, des annonceurs et des régulateurs... Mais déjà certains acteurs "Over The Top" comme Netflix comptent plus d'abonnés que les chaînes payantes et ont développé des outils plus fiables pour cibler les téléspectateurs. Les chaînes doivent donc au plus tôt utiliser leur position pour se tailler une place dans le salon connecté. Certaines ont choisi de développer leur propre standard de TV connectée, ce qui fait sens dans l'environnement actuel des smart TV. Mais lorsque la grande bataille s'annoncera les chaînes devront plutôt se focaliser sur la création de nouvelles "Applivisions" thématiques, et non de simples catalogues d'émissions. Parmi les plateformes en présence Microsoft et Apple s'annoncent comme les partenaires les moins "menaçants" pour elles, du fait de leur longue expérience de la relation avec les fournisseurs de contenus (éditeurs de jeux vidéos pour les premiers, de musique pour second).

Enfin les acteurs "over the top" ainsi que les géants du web comme Facebook feront pencher la balance vers la ou les vainqueurs. En attendant ils n'ont aucun intérêt à soutenir l'un ou l'autre des belligérants - voire même ont intérêt à tenter de créer leur propre plateforme.

Rendez vous dans 10 ans pour "compter les morts" et féliciter le nouveau Roi !

Ajout du 20 Juin: un article intéressant sur engadget sur la stratégie de Microsoft dans le salon connecté: http://www.engadget.com/2013/06/19/xbox-one-live-tv-microsoft-history-what-to-expect/?utm_medium=feed&utm_source=Feed_Classic&utm_campaign=Engadget

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